« Résister et réinventer » : deux jours de lumière au cœur d’un automne lancinant

« Résister et réinventer » : deux jours de lumière au cœur d’un automne lancinant

Par Joakim Lemieux

Le jeudi 27 novembre dernier, près de 250 personnes ont été accueillies dans la salle Marcel-Pépin du Centre Saint-Pierre au son des oiseaux et du bruissement du vent dans les feuilles. Une lumière verte et mystérieuse inondait la salle pendant que les gens s’y installaient, leurs sens et leur curiosité en éveil. Ces personnes, en provenance des quatre coins du Québec, avaient en commun de travailler de près ou de loin dans une démarche en développement des communautés, c’est-à-dire une démarche concertée, intersectorielle, qui se structure autour d’une volonté commune d’améliorer les conditions de vie dans un territoire donné. Des organismes communautaires, des Tables de quartiers, des Corporations de développement communautaire (CDC), des organisateurs·trices communautaires de CISSS et CIUSSS, mais aussi des entreprises d’économie sociale, des étudiant·es et des chercheur·euses. Tous et toutes allaient explorer, pendant deux jours, en quoi leurs démarches s’articulent à la transition socioécologique (TSÉ). Elles en sont même des piliers.

On en a tellement la conviction qu’on l’a écrit dans le titre de l’événement : « Résister et réinventer : le développement des communautés comme pilier de la TSÉ. »

J’étais pour ma part à l’animation de cet événement, en compagnie de Sonia Racine, du Collectif des partenaires en développement des communautés. La CMTQ a contribué à la recherche partenariale à l’origine de ce rassemblement, et à son comité organisateur. Je me sens encore très habitée par ces deux jours denses et féconds. Il m’a semblé à propos d’écrire quelques lignes sur ce que nous y avons vécu et sur les réflexions qu’ils ont fait émerger pour moi, à titre personnel, mais aussi pour notre réseau.

Crédit : Collectif des partenaires en développement des communautés

La TSÉ comme levier d’inclusion sociale

L’intention derrière ces journées, outre le transfert des connaissances et la diffusion des résultats de la recherche partenariale, était de créer de l’engagement autour de la transition socioécologique. De renforcer le sentiment de légitimité des acteurs et actrices terrain sur cette question, de les inciter à assumer pleinement leur rôle à cet égard. Pour ce faire, il fallait d’abord (re)souligner les liens entre justice sociale et écologie, entre lutte à la pauvreté et lutte pour le climat. Nous avons invité des conférencièr·es d’ici et d’ailleurs qui sont tous et toutes venu·es nous le confirmer, à partir des leurs perspectives et travaux de recherche.

Nicolas Duvoux, du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) est venu nous dire « qu’il n’y a pas plus injuste et inéquitable que de ne pas faire la transition ». Il nous a démontré que les personnes en situation de précarité sont parfois contraintes à avoir un mode de vie carboné et que cette dépendance les maintient dans la précarité. Elisabetta Bucolo nous a fait la démonstration que les personnes en situation de précarité revendiquent une capacité d’action en matière de transition socioécologique, que nous devons cesser d’invisibiliser les formes de mobilisation qui sont les leurs, et de rétablir une forme de justice épistémique. Sophie L. Van Neste nous a convaincu·es qu’il fallait à tout prix élargir notre vision de la transition socioécologique et passer à un mode d’adaptation transformationnelle, et se servir de la TSÉ comme levier pour travailler sur les déterminants sociaux de la santé. Lina Álvarez Villarreal a pour sa part ouvert nos œillères, nous a fait réfléchir au colonialisme et a ses nombreux effets pervers. D’autres conceptions et rapports au monde existent, chez les Premiers Peuples, en Amérique latine et dans les pays du Sud global, où les liens humains-nature sont tout autre. Où le rapport humain-humain, même est très différent. Elle nous a rappelé la philosophie africaine Ubuntu : « Je suis parce que nous sommes. »

Dans les ateliers, on a exploré des espaces de gouvernance partagée, qui sont parvenus à créer des alignements fertiles entre citoyen·nes-organismes-élu·es pour provoquer des transformations. On a aussi découvert des façons d’inclure les personnes en situation de précarité, les marginalisées, les oubliées, dans nos démarches, en ne se contentant pas que « d’aller vers », mais aussi de « faire avec ». À travers les initiatives enracinées à Longueuil, Petit-Saguenay, en passant par Québec et Montréal, on a vu toute la puissance générée par l’ambition de faire travailler des « pas pareils » ensemble.

Réinventer nos alliances, nos alignements, nos convergences

Il m’est apparu clair, à l’issue de ces deux jours, que nous ne pouvons plus détacher le travail que nous faisons en justice sociale, en lutte à la pauvreté, de celui pour la planète. Il faut résolument aller au-delà des discours qui les opposent, de cette posture qui met l’accent sur la différence de nos missions plutôt que sur ce qu’elles ont en commun. Nous travaillons pour le bien-être collectif. Nous travaillons pour le vivant, qu’il soit humain ou non. Les transformations profondes auxquelles nous aspirons et pour lesquelles nous luttons sont les mêmes. Nos missions sont complémentaires ; nos actions, interdépendantes, connectées dans un écosystème complexe.

À la CMTQ, nous avons fait le choix en 2022 de contribuer à la fondation de l’alliance Transition en commun (TeC), avec certaines organisations avec qui nous avions peu travaillé encore. Nous avons mis un moment avant de comprendre le rôle que nous devions et pouvions y jouer, comme organisme dans le champ du « social ». Nous nous sommes questionné·es, nous avons douté. Puis, nous avons commencé à jouer de notre influence. Nous avons consolidé des relations et tissé de nouveaux partenariats. Cela nous a poussé·es à ouvrir des espaces de réflexion dans notre réseau et à nous doter de notre propre vision de la TSÉ. Cela a incité plusieurs de nos membres à intégrer la TSÉ comme axe transversal dans leur plan de quartier. Au sein de l’alliance, les préoccupations de nos membres cheminent à travers les visites de quartier qu’elles coorganisent, dans les groupes de travail thématiques, dans le cadre de rencontres collectives, dans les documents qu’on y produit. Être à TeC contribue à une plus grande reconnaissance des Tables de quartier comme structure de concertation en développement social, et à une prise en considération des enjeux sur lesquels elles travaillent et des réalités distinctes des milieux de vie.  

Certes, il y a des éléments de contexte qui sont défavorables à l’action collective, au croisement si nécessaire des perspectives. Au premier chef, l’insuffisance de ressources financières. Si on ne peut pas en faire abstraction, on peut choisir d’y faire face autrement. On peut y voir une opportunité d’apprendre à mieux travailler ensemble, à forger des alliances, à se soutenir mutuellement. À cette époque où l’on cherche à nous diviser par toutes les tactiques possibles, amener nos secteurs et organisations à parler d’une même voix et à s’unir dans l’action nous semble une stratégie porteuse, une façon de reprendre collectivement du pouvoir. Une forme de résistance fertile.

Revenir au territoire

Je ressors pour ma part énergisée par ces deux journées. Le comité organisateur a mis les bouchées doubles pour prendre soin de l’espace et l’irriguer de beauté. Tout au long de l’événement, on a été berçé·es, brassé·es, ému·es par les mots de l’artiste Jani Greffe-Bélanger, qui tissaient de la poésie à partir du fil de nos réflexions. J’ai aussi été enchantée par le changement de posture proposé par Lina Álvarez Villarreal, nous incitant à refuser ce détachement cynique imposé par le capitalisme entre le monde humain et le monde naturel. Une invitation magnifique à redécouvrir et pleinement habiter ce qu’elle appelle nos « corps-territoires ».

Car qui sommes-nous, finalement, sans ce territoire qui, malgré l’errance et la cupidité humaines, nous donne sans discontinuer?

***

Pour tout savoir sur la recherche partenariale, procurez-vous l’ouvrage collectif : « Développement des communautés territoriales et transition socioécologique, nouvelles pratiques au service d’une société en transformation » sous la direction de Denis Bourque, Sonia Racine, André-Anne Parent, Lucie Morin, Geneviève Le Dorze-Cloutier (PUQ, 2025).

Pour en savoir plus sur notre vision de la transition socioécologique et le rôle joué par les Tables de quartier, regardez cet épisode d’Esprit de quartier.